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[cw : deuil d’un enfant, masculinité toxique] Il y a plusieurs semaines que Joe n’a pas fait la route jusqu’au shared living centre. A quoi bon ? L’idée même qu’on l’y regarde avec des yeux pleins de pitié, qu’on lui impose de parler ou pire encore qu’on lui reproche ses absences répétées en lui rappelant tous ces progrès qu’il avait faits et qui étaient tombés à l’eau lui filait la nausée. Rien ne lui ramènerait Juliet et les exercices stupides de sa psychomage lui semblent aujourd’hui bien futiles. Lui qui s’y adonnait sans grande joie mais dans l’idée d’apprendre à offrir un environnement familial sain à sa fille n’a aujourd’hui plus aucune raison d’apprendre à verbaliser ses émotions, entre autres choses. Sans la présence de Juliet, il remet tous les jours en question la pertinence de ses visites. Et jusqu’à présent, la balance penchait plutôt vers « faire la gueule, être en colère et attendre que ça passe tout seul sans en avoir très envie » que vers « prendre son deuil en main et le vivre durement mais accompagné ».

Ce matin pourtant, il a décidé de montrer signe de vie au groupe de parole. Les raisons de cette soudaine conviction sont loin d’être saines : un besoin de distraction, l’insistance d’une thérapeute qu’il voudrait faire taire, éventuellement l’idée de voir son pote Ben avec qui il n’a presque aucun contact en dehors du centre. Silence injustifié si vous voulez mon avis : ils s’entendent plutôt bien et feraient mieux d’aller boire une bière au pub de temps à autres que de se comporter comme des lycéens à ricaner au fond de la classe, mais la fierté a ses raisons que Joe Nomura se contente de suivre sans remettre en question.

Lorsqu’il entre dans la salle, c’est justement vers Ben qu’il se dirige, s’installant non loin de lui. « Hi mate. », il répond d’une voix fatiguée. Le small talk n’a jamais été sa spécialité et autant vous dire qu’il l’évite aujourd’hui comme la peste. Aussi, il ignore assez violemment la petite remarque de Ben : il a raison, ça fait longtemps, et on ne va pas épiloguer là-dessus pendant dix minutes. Aussi, il se mure dans le silence. Du moins, il l’aurait fait si docteur Figg ne s’était pas pointée dans la seconde, lui adressant un grand sourire. Joe ricane, puis murmure en se penchant vers Ben : « At least one of us looks happy to be here this morning. We can’t say that about everyone. » Il attend quelques secondes… pas de réponse. Alors, il hèle son compagnon de galère d’un pssst peu discret puis, l’observant toujours baillant aux corneilles, le réveille d’un petit coup de coude, provoquant un « Huh ? » qui fait tiquer Joe. Son regard passe de Figg à Ben, puis de Ben à Figg. « Ohhh, I see. » Le regard de Joseph s’illumine de malice. « I mean, she’s rather nice looking, I have to give you that. Not sure having a crush on your therapist is a good idea though. »

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Si Joe avait ne serait-ce que soupçonné qu’il serait témoin de ce genre de scène aujourd’hui, il aurait pour sûr bien moins hésité à se bouger jusqu’au centre pour assister à la réunion de groupe. Ben Travers et June Figg au centre d’un drama de qualité : le béguin à sens unique envers rien de moins qu’une professionnelle de la santé qui s’occupe de notre homme à temps partiel. En un sens, Joseph se comporte comme le parfait adolescent un peu crétin et ce serait certainement hilarant s’il n’avait pas passé l’âge depuis environ vingt ans. Le fait est que Ben incapable de cacher son attirance manifeste envers Dr Figg constitue un divertissement bienvenu pour Nomura. « Shut up. She’s not my therapist. », s’empresse d’ailleurs de ronchonner le concerné, apportant une précision importante en son sens mais qui ne fait que confirmer les soupçons de Joe. « She is for group therapy. » Le cracmol se fait un plaisir de taquiner son ami. La couleur cramoisie du visage de ce dernier et son envie pressante de se justifier ne font que prouver à Joe qu’il a raison.

Mais les blagues ont leurs limites et le cracmol remarque bien que Ben rassemble toutes ses forces pour garder un semblant de contenance. Alors, Joe cesse ses bêtises. Il baisse un peu le ton et s’excuse à demi-mots : « I’m just messing with you mate, I promise I’ll leave you alone. » D’une tape sur l’épaule, il rassure Travers. « But I’m dropping out for a couple of months and when I come back, this happens ? » Impossible d’avouer que ce pauvre incident consiste en tout ce qu’il y a eu de plus drôle dans la vie de Joseph Nomura ces trois derniers mois. Et pourtant, entre la gestion calamiteuse de son deuil qu’il pense pouvoir surmonter seul et les réunions des oubliés, il ne s’est pas passé grand-chose d’amusant récemment. Ni même de cocasse. Ou de vaguement agréable, en fait. Bref, Ben Travers le filet de bave au coin de la bouche et subjugué par l’entrée fracassante de la psychomage à la session de groupe constitue le divertissement du siècle et il se peut qu’il en ait fait trois tonnes. Aussi, il se fait violence pour retirer le petit sourire narquois qui barre son visage et reprendre une expression neutre. « Anyways, we don’t have to talk about that. How’s Grace ? »