AND IT STARTED LIKE THIS...

août 1997, maison de campagne proche d'ashford, kent

Thabisa avait compris que quelque chose clochait au moment où ses parents lui avaient annoncé qu’ils devaient se rendre chez tante Beca. Qu’on lui ait demandé de remplir une valise de ses vêtements préférés était suffisamment louche comme ça. Que la valise soit agrandie par un sortilège lui permettant d’y faire entrer sa vie entière et que ni ses parents, ni son petit frère n’en aient préparé une aussi semblait encore plus étrange. Et maintenant, ils allaient chez tante Beca pour « l’après-midi », papa et maman tiraient une tête jusque par terre, tante Beca faisait de son mieux pour avoir l’air accueillante mais n’en menait pas beaucoup plus large et tous espéraient que Thabisa n’ait rien remarqué, probablement.

« Pourquoi vous êtes si bizarres ? », elle finit par demander, un bout de gâteau trop cuit – tante Beca réussissait toujours ses gâteaux, d’habitude – dans la bouche. Les regards se tournent vers elle, un peu stupéfaits. « Ben quoi ? Vous êtes tous bizarres depuis ce matin. » Son frère, neuf ans, pas moins de gâteau dans la bouche et du chocolat partout autour, acquiesce : « Ah oui cha chest bien vrai ! » Les adultes se toisent, cherchant le ou la coupable d’avoir vendu la mèche. En réalité, ils le sont tous : coupables d’avoir cru que deux enfants en âge de s’exprimer seraient incapables de comprendre que quelque chose cloche. Ils ont surtout espéré que ne rien leur dire suffirait à les protéger, jusqu’à l’heure fatidique des adieux, de ce qui est à venir.

Alors, Alys Mercer soupire. Dans les yeux de sa sœur, elle cherche la force. Dans ceux de son mari, elle trouve du réconfort, bien enfoui derrière les larmes. « Thabisa… Tu vas devoir rester chez tante Beca jusqu’au premier septembre. Jusqu’à ce que tu puisses retourner à Poudlard. » Les yeux de l’intéressée se plissent, ses sourcils se froncent. « Il faut cacher papa en France, chérie. Toi, tu ne risques rien, tu seras en sécurité à Poudlard. »

Ce sont ces mots qui ont, les premiers, fait comprendre à Thabisa Mercer, onze ans et demi, la gravité de la situation dans laquelle se trouve le monde sorcier britannique à l’époque. Sa rentrée à Poudlard et les faits traumatisants qui auront lieu tout au long de l’année scolaire l’aideront à comprendre la décision de ses parents. Mais en ce moment, la jeune fille se sent trahie, abandonnée, et elle passera ses quelques dernières heures en famille à vociférer des paroles accusatrices. Et qui pourrait lui en vouloir ?

mai 1998, poudlard

[cw : conséquences de la bataille de Poudlard] L’atmosphère est lourde, froide, oppressante. Thabisa n’a pas dormi, ses camarades de Poufsouffle non plus, personne à Poudlard n’a fermé le moindre œil de la nuit. Comme tous les élèves trop jeunes pour se défendre – ne parlons même pas de se battre -, elle a été cachée dans le château avec comme seule compagne la sourde cacophonie des combats, des pierres qui s’effondrent, et des cris de douleur. Le corps de Thabisa est perclus de la douleur des courbatures causées par tant d’heures de tension, les mains sur les oreilles et les genoux relevés contre le menton.

Lorsqu’elle les a autorisés à sortir de leur planque, le professeur Chourave les a prévenus : le spectacle auquel ils s’apprêtaient à assister est pire encore que tout ce qu’ils ont pu imaginer durant la nuit. Certains d’entre eux seront emmenés à la Grande Salle, les autres, ceux dont on n’appellera pas le nom, n’ont pas le droit de s’en approcher. Et finalement, ce sentiment d’injustice laissera place à un profond soulagement lorsqu’ils comprendront quelques heures plus tard ce qui se trouve là-bas et pourquoi les appelés l’ont été.

Assise dans l’herbe d’un parc dévasté, muette, Thabisa attend que sa tante vienne la chercher. Il est prévu que les parents et tuteurs puissent entrer, exceptionnellement, dans le château et la jeune fille en est reconnaissante au professeur McGonagall – elle n’aurait pas supporté un trajet de dix heures dans le Poudlard Express, pas sans figure familiale. Son amie Clare sanglote à côté d’elle sans qu’elle sache comment la consoler. Il n’y a aucun mot qui suffise à apaiser la douleur du grand frère que Clare a perdu hier. Alors, Thabisa se contente de lui tenir la main.

Il n’y a pas grand-chose à faire d’autre. Le monde s’est écroulé, après tout. Rien ne le rendra jamais plus comme avant.

juin 2003, king's cross

« Mais qu’est-ce que tu vas faire, Thabisa ? » L’adolescente hausse les épaules. Elle s’attendait à ne pas recevoir un accueil des plus chaleureux, mais elle ne pensait pas que l’interrogatoire commencerait sans même un bonjour, le pied à peine posé hors du Poudlard Express pour la dernière fois de sa vie. « Comment tu vas faire avec si peu de bons ASPICS ? » Elle soupire. Elle a eu tous les ASPICS qu’elle visait, elle n’a juste jamais excédé l’Acceptable, sauf pour l’étude des moldus où elle a décroché l’Effort Exceptionnel – et honnêtement, il valait mieux, sous peine de recevoir le mépris paternel pour la décennie à venir. « J’ai eu tous mes ASPICS, maman. », elle marmonne en posant sa lourde valise sur le porte-bagages en grognant. « Mais tes notes… »

Exaspérée pour de bon, Thabisa se retourne vers sa mère, bras croisés. « De toute façon, je veux être comédienne, maman. Pas besoin d’Optimal en potions et en arithmancie pour ça. » Les lèvres d’Alys Mercer se pincent. Si elle a toujours eu vent du projet de sa fille, elle aurait au moins aimé qu’elle ait un plan B en cas d’échec.

Au lieu de ça, Thabisa décrochera son premier rôle payant dans un théâtre sorcier quatre ans plus tard et se contentera de jobs alimentaires dans le monde moldu pour survivre en attendant. Caissière, barista, vendeuse de prêt-à-porter, sans oublier babysitter à ses heures perdues. Ses parents ont fini par s’y habituer, puis par laisser place à la fierté lorsque ses efforts se sont avérés enfin payants. Du moment qu’elle est heureuse.

mars 2008, cabinet d'avocat magique

« Je suis désolé mais au vu des accusations et des preuves qui pèsent contre lui, James n’échappera pas à Azkaban. Le mieux que je puisse faire, c’est alléger sa peine au maxi… » « Comment ça, Azkaban ? » Les yeux de Thabisa s’écarquillent, incrédule, tandis qu’elle fait les cent pas dans le cabinet, incapable de se calmer. L’avocat précise sa pensée, grave : « Il n’existe pas vraiment d’autre alternative, miss Mercer. » Et il a raison. Il n’existe rien de moins pire qu’Azkaban au Royaume-Uni, la même forteresse qui accueille tous ces meurtriers dangereux, et surtout ces fichus détraqueurs. Peu importe le crime, c’est Azkaban qui vous attend. De quoi vous donner matière à réfléchir, peut-être, mais qui une fois le malheur arrivé semble une punition bien trop importante. « Il a détourné des fonds, je conviens que ce n’était pas très malin ni judicieux, et il mérite bien évidemment une peine à hauteur de son délit, mais Azkaban ? »

Thabisa explose et le ton de sa voix monte dans les aigus au fur et à mesure qu’elle prend conscience de ce que risque son petit ami. Ils se sont rencontrés à Poudlard, envisageaient de se marier l’année suivante. Et il avait fallu que James gâche tout. Détournement de fonds, sérieusement… Et pas une petite somme. Mais de là à l’envoyer à Azkaban, à lui faire subir la torture de la présence des détraqueurs, Mercer n’est pas sûre.

L’avocat magique croise les bras sur son bureau. Des cas comme celui-ci, il en voit régulièrement passer. Lui non plus ne comprend pas l’acharnement psychologique derrière l’idée d’enfermer de pauvres types perdus qui ont fait une malheureuse bêtise dans une forteresse glaciale, noire et grouillante de créatures prêtes à se nourrir de tout ce qui les a un jour rendus heureux. « Je vais faire tout mon possible pour limiter le temps que James y passera, miss Mercer, je peux vous l’assurer. »

[cw : mention de suicide] Finalement, James écopera de deux ans. Deux ans desquels il sortira si brisé que, désespéré de retrouver un jour l’homme qu’il était, il finira par s’ôter la vie.

janvier 2015, locaux de l'association Azka'BAN
Ils l’ont fait.

Et c’est dans un discours des plus déconstruits, pourtant écrit à l’avance mais décousu par l’émotion, que Thabisa a annoncé la grande nouvelle au sein de l’association qu’elle a co-créée au lendemain de la perte de James. A force de persévérance, le mot est passé, s’est fait un chemin chez les représentants politiques intégrationnistes, et un projet de grande envergure vient d’être voté.

Ça y est, le Royaume-Uni sorcier pourra, dans quelques années, enfin proposer une alternative à la forteresse de – trop – haute sécurité qu’est Azkaban, source de tant de cas de stress post traumatiques et des conséquences qu’on leur connaît. Et si le chemin est encore long, si nous sommes encore loin d’un idéal carcéral où l’idée serait de se focaliser sur la réinsertion des détenus plutôt que sur la punition simple, sur une idée de bannissement pur et simple des détraqueurs et d’une création d’emplois de gardiens formés et aptes, c’est déjà une belle victoire qui s’offre à eux après six ans de combat.

Pour fêter ça, ils ont organisé un apéritif dînatoire au sein des locaux de l’association et ont invité tous leurs militants, sympathisants, ainsi que toutes les familles qu’ils ont un jour aidée et les ex-détenus qu’ils ont accompagné en réinsertion. C’est un jour de joie. De célébration.

Mais si ce combat est gagné, la guerre, elle, continue encore. Demain, il faudra se remettre au travail. Pour James. Pour chacun et chacune de ces personnes dont le sort n’aura pas été plus favorable que le sien.

novembre 2021, starbucks shoreditch

« J'aimerais que tu me fasses confiance et que tu me dises la vérité. », annonce Matthew d’un air si sûr de lui que c’en est déconcertant, et le sang de Thabisa se glace. Pourtant, elle tente de ne rien montrer, ose même feindre la distraction. Le nez dans son café, elle ose un timide : « Mmmh ? Pardon ? » et les traits de Matt se durcissent un peu. « J’aimerais savoir où tu bosses vraiment. »

« Je travaille dans un théâtre, je joue dans cette nouvelle pièce, un truc modeste, c'est sympa. », lui avait-elle annoncé au tout début de leur relation sans savoir que le metteur en scène de ladite pièce était un ami et que Matthew découvrirait bien vite la supercherie - une petite semaine à peine, et assez innocemment en toute franchise, manque de pot pour elle.

Oh, Thabisa l’avait vu venir. Elle savait qu’il ne valait mieux pas s’acoquiner avec un moldu, que ça finirait forcément mal, mais ce moldu-là valait tellement mieux que n’importe quel autre homme sur lequel elle avait pu tomber dans le monde sorcier. Elle qui ne s’était jamais vraiment remise après James apercevait enfin en quelqu’un un futur potentiel, sans intérêt ni mal-être. Et cela passait peut-être par le fait qu’il ne la connaissait pas outre-mesure, n’avait aucune idée ni de son passé ni de ses combats politiques. Une relation reposante, donc, loin de ressentir cette pression constante à représenter sa cause en permanence, infaillible, sans l’impression d’être testée au quotidien.

Un moldu, aussi arrangeant soit-il, n’était cependant toujours pas une bonne idée, parce qu’il avait fallu lui mentir, parce qu’il faut continuer d’omettre certains détails. Thabisa refuse d’ajouter le poids du secret magique aux épaules de Matt tant qu’elle n’est pas certaine de ce qu’elle fait. Il les a suffisamment alourdies comme ça, du moins c’est ce qu’elle pense. Alors elle ment, encore et toujours. Depuis quelques semaines. Deux mois, très exactement. Aujourd’hui, embourbée dans ses fables, elle est prise au piège. Pourtant, elle ose à nouveau : « Dans un théâtre, Matt. Je suis comédienne. » Et peut-être aurait-elle dû être plus prudente lors de leur rencontre, s’inventer un métier moins public, plus anonyme, mais elle n’avait pas anticipé qu’elle puisse littéralement tomber amoureuse, ou du moins s’y attacher suffisamment pour vouloir un peu plus d’intimité. Aussi, les similarités entre leurs deux métiers l’avaient amusée et elle avait lâché le morceau. Ça s’arrêtait là. « Thabisa, je ne t'en voudrais pas si tu n'étais pas... » La brune  le coupe d'un râle bruyant, un peu dépitée, alors que son visage s'écrase entre ses bras croisés sur la table. Il ne peut pas encore connaître la vérité, c’est trop risqué – il faudrait l’oublietter si ça se passait mal entre eux et Thabisa a beau faire entière confiance en son oubliator de petite sœur, elle n’aime pas le principe. « Je te dis la vérité, Matt, je veux juste un peu d’intimité. Je te promets que je te donnerai les détails un jour. Quand je serai prête. »

Il hoche la tête, pas convaincu. Pourtant, contre toute attente, il décide de la croire. Elle n'est pas prête à lui parler et après tout ils ne se voient que depuis quelques semaines. Pourtant, Matt sait qu'elle lui cache quelque chose, et il n'est pas certain qu'il supporte la situation encore très longtemps.