Cela faisait toujours plaisir à Thabisa de tomber, par hasard ou pas tout à fait, sur de vieilles connaissances de Poudlard. Tout d’abord parce que ça la ramenait à un temps qui lui semblait aujourd’hui bien trop lointain, ensuite parce que comme toute personne normalement constituée l’avouant ou non, Mercer aimait beaucoup les potins. Et lorsqu’elle avait recroisé Andy, qu’elle avait passé sa vie à retrouver puis à reperdre de vue au fil de leurs petits boulots respectifs, elle n’avait pu cacher sa joie. Aussi, elle avait accepté son invitation à papoter dans son bureau avec plaisir.

Deux immenses lattes Starbucks dans les mains, elle déambulait dans les locaux de la radio sorcière avec une agilité et une aisance surprenante. Entre ses prises de paroles pour l’association et, plus récemment, ses interviews de promotion pour l’adaptation sorcière d’Hamilton à Shoreditch, la brune connaissait les lieux, si pas par cœur, au moins suffisamment pour se repérer dans le labyrinthe de bureaux et autres studios en tous genres. Gratifiant d’un signe de tête aimable celles et ceux qu’elle croisait, optant parfois même pour un brin de conversation lorsqu’il s’agissait de têtes connues, elle communiquait sa bonne humeur avec satisfaction.

Arrivée à la porte du bureau d’Andy, elle frappa doucement de sa main libre et n’entra que lorsqu’on l’y invita. A l’expression qui traversa le visage de l’intéressé, elle éclata de rire. Il avait visiblement oublié au mieux l’heure de rendez-vous, au pire l’intégralité de son invitation. La brune secoua la tête. Elle-même désordonnée, il aurait été de mauvais ton de juger l’état des lieux. « Oh, mais non, c’est cosy ici, on dirait ma bibliothèque… ou plutôt, mon foutoir à culture. C’est son petit nom. » Elle gratifia Andy d’un sourire sincère avant de s’approcher de lui pour lui tendre son café. « J’ai pris chestnut praline latte, aucune idée de ce qu’il y a dedans mais ça sonnait bourré de sucre, et après tout, c’est bientôt Noël, si on n’a pas le droit au sucre avant Noël, dis-moi quand ? » Elle marqua une courte pause, puis enchaîna : « Comment tu vas depuis la semaine dernière ? »

Andrew était entré et sorti de la vie de Thabisa à plusieurs reprises. Pourtant, ils semblaient toujours aussi bien s’entendre, peu importe l’âge qu’ils prenaient et les années qui passaient. Et à en juger par le sourire qui illumine le visage de son ami de Poudlard lorsqu’elle entre dans la pièce, c’est un plaisir partagé. Bazar ou pas dans le bureau, la brune n’en a que faire : elle n’est pas là pour juger les talents de fée du logis de quiconque. Elle serait bien mal placée pour le faire au vu de sa manière de tenir son appartement en ordre… Quoique, ça va un peu mieux depuis que Matt lui rend visite de temps à autres. Après tout, ça ne demande qu’un coup de baguette qu’elle a déjà la flemme de donner. « Tu n’as pas idée d’à quel point tu as raison, rien que de penser au ménage qui m’attend ça me donne le tournis. » Elle hausse les épaules, ponctuant son affirmation d’un rire léger.

Tandis qu’Andy lui raconte les dernières nouvelles, elle s’adosse à la fenêtre, enroulant ses longs doigts autour du gobelet de café. La chaleur lui fait du bien, elle qui vient du froid mordant de l’extérieur. « Je te félicite ! C’est loin d’être mon cas. » Question cadeaux de Noël, elle en est toujours au stade de la réflexion. Cette étape dure en général jusqu’à la dernière minute, évidemment, sinon, ce serait moins drôle. « Alors », elle commence en levant les yeux au ciel pour chercher ses mots. « Ca va plutôt bien. J’ai dû déléguer pas mal à l’association, Hamilton me tient occupée six jours sur sept. J’ai beaucoup de mal à réaliser ce qui se passe, honnêtement, les chiffres sont là, le public aussi, ne parlons même pas de mon planning. Mais ça semble tellement irréel. » Thabisa marque un court temps d’arrêt, juste de quoi boire un peu de latte. « C’est vraiment génial, vraiment fatigant aussi, mais génial. » La salle est régulièrement sold out ou presque, les places se vendent comme des petits pains, les projets à longs terme ne font que se succéder. A tel point qu’elle pense de plus en plus à céder sa place dans l’association pour ne rester qu’une intervenante régulière, aussi déchirante semble cette décision. « D’ailleurs, je ne sais pas si tu es déjà venu ni si ça t’intéresse, mais si tu veux, je pourrais t’avoir des places… enfin, si tu n’es pas trop occupé avec ta double-vie. » Malicieuse, elle lui lance un clin d’œil complice. Elle parle bien évidemment de ses emplois chevauchés entre le monde sorcier et moldu, de quoi perdre la tête avec les plannings également. Il est loin, le temps où ils se la coulaient douce chez le disquaire…

« Je préfère encore passer mon après-midi du 24 à slalomer entre les touristes à Westfield », ricane Thabisa à l’évocation du nouveau Vous-Savez-Qui. Elle a bien compris le second degré d’Andy et ne blâmerait personne utilisant Amazon, après tout ils ont réussi à se rendre presque indispensables dans le monde moldu. Et puis, elle est plutôt venue pour passer du bon temps avec un ami que pour faire des leçons de morale. Aussi, elle se laisse rapidement entraîner vers d’autres sujets de conversation. En l’occurrence : sa vie professionnelle. Et autant dire qu’elle est bien remplie en ce moment. « J’ai signé pour six mois, il y a des représentations tous les soirs même si j’ai une doublure qui me remplace au moins un soir par semaine. » Elle hausse les épaules et s’accorde une pause le temps de prendre une gorgée de café. Le rythme est soutenu mais l’expérience est enrichissante. « Mais je crois qu’ils visent la mise en place d’une sorte de West End sorcier dans le futur, si ça marche, et ça voudrait dire deux shows par jour et une équipe qui change régulièrement. Entre autres. »

L’idée séduit beaucoup Thabisa d’ailleurs, qui si elle aime beaucoup le concept de musical sorcier ne se voit pas passer sa vie à interpréter le même personnage. Mais retournons à Andy et son emploi du temps de ministre qui fait sourire la brune. Elle aussi a un peu l’impression de n’avoir que peu de temps à accorder à ses proches, ce qui n’arrange pas ses affaires, sans arrêt contrainte de mentir à son petit ami sur les raisons qui l’empêchent de dîner avec lui trois fois sur quatre. « Avec plaisir, t’as mon cloud ? Tu m’envoies juste un message quand tu penses passer et je pense que je pourrai m’arranger pour te tenir un siège… ou deux ? » Elle adresse un clin d’œil complice à son ami. « Il y a un monsieur Andy dans ta vie en ce moment ? Enfin, si c’est pas indiscret ! »

Thabisa acquiesce. Ça fait en effet énormément de représentations et le rythme est très soutenu. Les premières semaines, elle s’écroulait de fatigue régulièrement et avait même dû déléguer beaucoup du travail de l’association à ses collègues et aux bénévoles. Arrivée à la moitié de son contrat, la brune s’est acclimatée au rythme de travail, ce qui est déjà une bonne chose. Elle est moins certaine d’être prête à suivre la cadence si on venait à lui proposer deux shows par jour. Ça signifierait passer les rennes de l’association et Thabisa n’a pas la moindre envie de laisser son projet de cœur de côté. Mais elle n’en est pas là. « C’est possible », elle commente en haussant les épaules. « Après, pour être très honnête, il faudrait pas mal de fonds, créer des théâtres sur-mesure, payer des équipes pour s’assurer que les sortilèges repousse-moldus soient renouvelés régulièrement. Si ça se fait, ce ne sera pas pour demain. Et je ne suis pas certaine qu’ils reconduisent Hamilton au Wicked Witch. » Après tout, les infrastructures culturelles sorcières n’étaient pas encore légion et d’autres productions se bousculent au portillon.

Thabisa rit doucement à la confusion d’Andy sur le cloud. Autant elle était habituée à voir des sorciers paniquer devant un portable moldu mais s’acclimater parfaitement à cette nouvelle technologie sorcière, autant l’inverse est plus rare. « Ca marche, l’un ou l’autre, c’est pareil », elle le rassure dans un sourire. Elle n’a pas le temps d’essayer de le convaincre de se mettre à la page de l’informagique qu’il se lance dans une diatribe sur le couple et la pression sociale. Aussi, elle le laisse parler, hochant de temps en temps la tête. Sa réflexion la fait sourire. Finalement, il est toujours l’Andy qu’elle a connu et ce n’est pas si étonnant : leurs années à cumuler les petits jobs alimentaires dans le monde moldu n'étaient pas si loin, peu importe le ressenti de Thabisa qui a l’impression qu’un siècle s’est écoulé depuis qu’elle bossait chez ce disquaire.

Elle boit une gorgée de latte et hausse les épaules. « T’as probablement raison. Je ne vois pas l’intérêt de se mettre la pression à trouver quelqu’un à tout prix, de toute façon. » Après un sourire, elle clarifie sa pensée : « Et la vie de célibataire est assez agréable, finalement. » Elle y a renoncé il y a peu et c’est déjà une prise de tête incroyable. Elle ne s’est pas facilité la tâche, cela dit, il est adorable après tout, et c’est ce qui la convainc de tenter l’aventure malgré tout. « Il y a quelqu’un. », finit-elle par avouer, en réponse à la question posée par Andy. « Matt. C’est un chouette gars, il bosse dans les milieux artistiques aussi, on manque tous les deux de temps pour être honnête mais… » Lorsqu’elle parle de Matt, Thabisa se prend parfois à glousser comme une adolescente et c’est précisément le réflexe qu’elle tente de camoufler à son ami par une nouvelle gorgée de café. « On verra où ça nous mène. », elle finit par conclure. « Ca ne fait pas très longtemps qu’on se voit et pour être honnête c’est… compliqué. Il est moldu. Je me noie un peu dans les mensonges et je ne suis pas sûre d’aimer ça. »

Thabisa a conscience de sa situation peu enviable. Pour être très honnête cependant, elle ne voit pas comment elle pourrait faire autrement. Elle ne s’attendait pas cela dit à se faire invectiver de la sorte par son ami. Aussi, peut-être parce que tout cela est bien stressant, son sang ne fait qu’un tour et elle réplique un peu bêtement : « Comment ça t’es folle ? Je protège sa santé mentale for fuck’s sake, j’ai aucune envie de l’envoyer se faire oublietter si ça se finit mal. Tu vas pas me dire que se faire triturer la mémoire n’apporte aucune conséquence sur le cerveau. Désolée, je fais pas confiance au Ministère sur ce coup-là, c’est mort. » Soudain, elle prend conscience du ton qu’elle vient d’employer et redescend d’un étage. Elle ferme les yeux et prend une longue inspiration, puis pose un regard chagriné sur Andy. « Zut, désolée, Andy, c’était petit de prendre la mouche, t’y es pour rien. J’aurais pas dû te parler comme ça. » La brune soupire et continue, plus calme : « Mais si, si, il se pose plein de questions. Je crois qu’il pense que je lui ai menti sur mon métier et il n’a pas tout à fait tort. »

Thabisa laisse échapper un soupir. Dire qu’elle se fait un sang d’encre à chercher quelle serait la solution la plus adaptée pour protéger non seulement son couple mais surtout son nouveau petit ami en tant qu’individu indépendant est un euphémisme. Et jusqu’à présent, elle n’en avait parlé à personne. Exposer les faits lui fait donc du bien, d’une certaine manière. « Je lui ai dit que je jouais dans une petite pièce off West End, manque de pot pour moi le metteur en scène est un de ses amis. Il a compris tout de suite. Du coup je lui ai dit que je lui expliquerais en temps voulu et il est suffisamment sympa pour faire semblant que ça ne le travaille pas, mais, tu sais aussi bien que moi que ça travaillerait n’importe qui. Il remet le sujet sur le tapis parfois, et je lui répète la même excuse, puis on n’en parle plus pendant quelques jours... » Elle hausse les épaules, contemplant avec fascination le couvercle de son latte. Lorsqu’elle relève la tête, c’est avec de grands yeux inquiets qu’elle regarde Andy : « Je peux pas lui annoncer de but en blanc que je suis une sorcière, quand même. Déjà, comment on fait ça bien ? Et puis qu’est-ce que je fais moi si ça marche pas et qu’on rompt dans deux mois ? Ou même six ? Je peux pas juste le laisser se faire oublietter, quelle méthode barbare ça aussi. » Son visage se déforme dans une grimace. Puis, soudain, l’illumination : Andy était sorti avec un moldu plusieurs années plus tôt. Elle n’y pensait plus, pourtant elle avait vécu les premiers pas de cette relation, avait même tenté de mettre les pieds dans le plat plus d’une fois puisqu’aucun des deux n’avait l’air de vouloir se bouger alors que les faits crevaient les yeux. « T’as fait comment avec Chris ? », elle demande alors, saisissant sa chance.